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vendredi 20 avril 2018

Le Temps, l’Espace, et les Neuf Provinces…





Si l’on me demande si je sais ce qu’est le Temps, je répondrais “oui“.
Si l’on me demande d’expliquer ce qu’est le Temps, j’en serais incapable.
(cité par Jean d’Ormesson).


Le temps qui passe est associé au ciel et aux mouvements des corps célestes que l’homme voit défiler au-dessus de lui. Des astres lointains, chargés de mystère, qui semblent se déplacer contre la voûte céleste, cette espèce de dôme hémisphérique.
L’Espace est plus abordable, surtout parce qu’autour de lui, l’Homme le voit, le touche, le parcourt, le modifie.

Pour en parler plus facilement, les penseurs parmi lesquels se placent les métaphysiciens — avides d’explications concernant les “causes premières“ — ont utilisé les nombres en leur attribuant des spécificités symboliques. Ici, on ne joue plus avec eux pour faire de la mathématique. On les qualifie en fonction des caractères des notions qu’ils sont censés représenter.

C’est ainsi que le nombre qui s’associe au Temps est le 6, et que l’espace est représenté — en Chine, l’explication est simple — par le nombre 5.

Notre compère Jacques André Lavier a bien étudié tout ça et nous apprend comment les choses se sont passées, en Chine antique, tout au moins. Mais les données traditionnelles comme celles-ci, qui concernent partout et toujours, les préoccupations primordiales de l’Homme pensant, sont universelles. Simplement, grâce aux documents chinois, mieux connues.

Il va nous montrer comment les conceptions relatives à ces deux “paramètres“ universels, ont évolué au cours du temps. Et comment la Tradition créée par les tenants purs et durs du 5, peut accepter d’utiliser le 6 pour compléter sa vérité.



Revenons au ciel :
Quand l’Homme* parvient à se détourner de ses tâches matérielles et de ses préoccupations alimentaires, il lui arrive de lever les yeux vers le ciel, sans doute à la recherche d’une dimension qui lui manque confusément.
                                     “Je ne crois pas en Dieu. Mais il me manque“,
a dit quelqu’un.

 Pratiquement, il le voit comme une immense voûte autour de lui, sur laquelle se déplacent des astres. Le premier de ces corps célestes est le soleil, qui décide de l’alternance et de la durée des jours et des nuits. Il apparaît à l’Est, se trouve au méridien en milieu de journée, et disparaît derrière l’horizon ouest.
 En tenant compte de la saison en cours, l’homme peut évaluer l’heure de l’instant, en jugeant de sa position dans le firmament.
Après la période nocturne, le soleil se lèvera à nouveau, au même endroit que la veille, ou presque. Comme tous les autres astres visibles, il semble avoir décrit un cercle, dont une partie en dehors de notre vue.
À cause de cela et compte tenu de la forme apparente de la voûte céleste, dans la plupart des civilisations, on associera le passage du temps à un mouvement circulaire, symbolisé par le compas pour les francs Maçons, par exemple.
Le nombre relatif au cercle est traditionnellement le 12. On dira que cette  conception du temps obéit à un système duodénaire.

Ce fut le cas en Chine également. Cependant, les études de Jacques André Lavier ont montré que la conception circulaire du temps fut adoptée tardivement dans ce pays.
Voici comment les Chinois de l’antiquité concevaient le déroulement du temps :

Ils étaient majoritairement sédentaires**. Cultivateurs, ils pouvaient passer leur vie sans connaître le village voisin. Leurs repères étaient spatiaux, comme les 4 points cardinaux, les 4 murs de leur maison, les 4 limites de leur champ.

Cet Espace-ci dont nous parlons (Espace avec un E majuscule), ne peut exister qu’en fonction de l’Homme, car c’est à partir de ma position que je peux dire : 
— Ce pic rocheux  est à l’Ouest !
Ce qui signifie en réalité :
— Le pic est à l’Ouest de l’endroit où je me trouve.
Si maintenant je parcours 100 kilomètres vers le Nord, je ne pourrai situer ce pic que de la façon suivante :
— Le pic en question se trouve au Sud.
C’est pourquoi les métaphysiciens disent que l’Homme qualifie l’Espace. Par sa présence, il lui donne un statut particulier, comme il offre à une perspective un nouvel aspect lorsqu’il s’est déplacé quelque peu par rapport à elle.

Et si l’Espace est en relation de dépendance si étroite avec l’Homme, ce dernier doit être considéré comme étant partie prenante dans le symbolisme de l’Espace. C’est pourquoi, pour la Tradition, le chiffre de l’Espace est le 5 :
4 directions + 1 homme = 5. 
On dira que l’Espace obéit à un système dénaire, c’est-à-dire un système qui a 10 pour base.

Pour ces sédentaires totalement ancrés dans l’espace, il fut naturel de  jalonner l’année selon 4 repères stellaires, relevés au moment des équinoxes et des solstices. Ces derniers permirent de définir les 4 saisons, ces événements chaque année renouvelés, qui transformaient leur champ sous leurs yeux.
Le nycthémère (période de 24 heures que nous appelons parfois jour), lui, se composait de 4 périodes :  la matinée, le milieu du jour, l’après-midi, et la nuit, et comptait 10 heures.
Jacques André Lavier nous confirme :
"C'est en termes d'espace que la Chine traditionnelle jalonna le temps, et toute conception "circulaire" de celui-ci n'a pu être qu'importée".

Cette sorte d’antagonisme entre les conceptions dénaire et duodénaire, pourrait apparaître comme illégitime aux yeux de la Tradition. Mais en réalité ces modes de pensée n'étaient pas divergents, mais complémentaires, ainsi que pourrait le montrer une étude plus poussée. Un élément qui permit sans doute aux conceptions sédentaire, fidèle au système dénaire, et nomade, attachée au duodénaire, de trouver des bases communes de réflexion, est constitué par la notion des "Neuf Provinces". 
Cette notion acquit une certaine importance dans les concepts intellectuels de la Chine proto-historique. 

Voyons ça :
L’homme est à sa place (une place de sédentaire, bien sûr) au milieu de son champ, ou dans sa maison :

 

Imaginons qu’il veuille s’agrandir — d’une manière harmonieuse par rapport à l’Espace qui l’abrite. Il peut légitimement doubler son terrain par une extension vers l’Est. Il pourra faire la même chose vers le Sud, puis vers l’Ouest, et pour finir vers le Nord.
Son nouveau champ, agrandi de façon équilibrée et logique par rapport aux règles spatiales, aura cette forme, qui ressemble à une croix :



Par analogie, si l'on se place à l'échelon du pays, le carré central représenterait symboliquement la capitale, et les 4 autres, les provinces cardinales. Cette structure polygonale comporte déjà 12 cotés extérieurs.
Notons, au passage, que nous sommes parvenu au nombre 12 (nombre "circulaire" s'il en est), sans faillir au symbolisme du carré, cher aux sédentaires.

Maintenant, si nous imaginons dans chacun des angles de la croix, 4 autres carrés qu’on pourrait appeler sous-cardinaux, nous obtenons l'image symbolique des Neuf Provinces.


Si l’on entoure la figure formée par ces 9 carrés par un cercle, et que l'on prolonge jusqu'au cercle les limites des petits carrés, on obtient bien une division du cercle en 12 parties.
Ce cercle, ainsi disposé autour du carré, symbolise les relations nomades/sédentaires, qu'il s'agisse d'un apport de l'extérieur par des nomades, ou d'une attaque de pillards encerclant les champs des agriculteurs, sans oublier l'usage analogique qui en est fait en médecine traditionnelle chinoise***.



 













On peut supposer que ce raisonnement a permis aux tenants de la Tradition de passer, dans certains domaines, d'un système dénaire à un système duodénaire, en adoptant une démarche légitime, basée sur l'analogie.
Ce passage semble dû aux influences nomades, qui modifièrent peu à peu les conceptions purement traditionnelles, fermement sédentaires, basées sur les critères spatiaux.
Il ne faut pas oublier que les nomades étaient, à cause de leur mode de vie, sous la coupe du temps, plus que de l’espace. Ils ne possédaient pas de territoire, ne faisaient que parcourir, et souvent piller, celui des autres.
L'influence du temps était telle chez eux qu'ils comptaient leurs déplacements en jours, et non en distances. Ils maintenaient une certaine activité nocturne pour surveiller leurs troupeaux, ou dévaliser les résidents, ce qui leur laissait le loisir d’apprendre le ciel nocturne, et leur a permis de bâtir leur calendrier sur les lunaisons.
Ce sont eux qui sont à l’origine du système duodénaire pour le décompte des heures, et des mois. Et aussi, dans un autre domaine, à cause de l'inquiétude constante du lendemain, que leur imposait leur mode de vie parfois aléatoire ou criminel, ils inventèrent un système prétendûment divinatoire, le fameux horoscope chinois, qui n'a rien de traditionnel.

Cette analyse de la notion des Neuf Provinces, explique, s'il en était besoin, la relative compatibilité des deux conceptions, sédentaire et nomade, associées d'ailleurs dans l'image de l'homme total, comme nous l’avons vu**.



NOTES 

* Si cette formule fait bondir quelque sotte féministe, c’est qu’elle n’a pas pris conscience de sa propre inculture.

** Voir mon article :

***Le concept symbolique des Cinq Éléments est accompagné en médecine traditionnelle chinoise de la notion des Six Énergies, ce qui permet de comparer  parfois l’agression de la ville que constitue l’organisme, par les microorganismes pathogènes, pillards nomades.

Enfin, l’agencement du carré symbolisant la Terre à l’intérieur d’un cercle rappelant la voûte céleste, est très utilisé en Chine depuis la nuit des temps, notamment dans les anciennes pièces de monnaie :






Nouvelles notes (26 04 18)


À propos des repères "stellaires"
La légende dit que c'est l'empereur Yao qui demanda à ses astronomes — rappelons que la Chine antique était très évoluée dans l'étude du ciel — de choisir parmi les étoiles les plus notables, une étoile, présente à minuit au méridien, le jour du solstice (d'été ou d'hiver), ou le jour de l'équinoxe (du printemps ou de l'automne).
Ce sont ces 4 étoiles, dites étoiles de Yao qui servirent de repères pour le décompte du temps annuel.

À propos du jalonnement du temps par l'espace, 
Signalons que de tout temps, jusqu'à aujourd'hui, le temps est jalonné par des moyens spatiaux, comme le déplacement de l'aiguille sur un cadran.
Avant cela, il y avait eu le niveau de l'eau écoulée dans la clepsydre, la fonte du cierge gradué, etc.
Rappelons la cordelette enflammée insérée entre les orteils du coureur de Marathon, pour limiter ses courts repos.

Ainsi, le 5 et le 6 symboliques fraternisent, et cohabitent pour nous indiquer le passage du temps. 


*
Pour les curieux, dans un domaine plus "large", j'ai fait l'hypothèse d'un Espace double, dans lequel un Espace-Sol est différent d'un Espace-Ciel. Ce dernier pouvant répondre au 6 comme l'Espace "normal" le fait au 5.

Il m'a toujours paru stupéfiant que 2 notions aussi distinctes, aussi chargées de symboles, que le temps et l'espace, puissent parfois s'interpénétrer, se dédoubler, se confondre, utiliser le même langage, comme dans l'astrolabe par exemple. Relire à ce sujet : le-ciel-va-plus-vite-que-le-soleil

C'est comme si on me disait que être et avoir avaient les mêmes potentialités, les mêmes rôles, les mêmes finalités.

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